Les limites de l’obligation de vigilance du banquier en l’absence d’anomalie apparente : illustration
Le banquier, tenu à un devoir de non-ingérence, n’a pas à procéder à des vérifications particulières dès lors que les opérations de son client, telles que des virements, ne présentent pas d’anomalie apparente.
Le devoir de non-immixtion du banquier dans les affaires de son client ne cède, en vertu de son obligation de vigilance, qu’en cas d’anomalie apparente. La Cour de cassation rappelle cette règle à l’occasion des faits suivants.
Le gérant et associé unique d’une société ordonne cinq virements depuis le compte bancaire de la société vers son compte personnel, pour un montant total de 1 950 000 €. Au même moment, il rachète pour 320 000 € le livret retraite qu’il détient chez sa propre banque. L’année suivante, il est placé sous sauvegarde de justice et une information judiciaire est ouverte du chef d’escroquerie sur personne vulnérable. Il décède peu de temps après. La société et la fille du défunt poursuivent alors la banque de la société et celle du défunt pour manquement à leur obligation de vigilance.
Il ressort des éléments suivants que l’opération de rachat et les ordres de virement ne comportaient, au moment de leur réalisation, aucune anomalie apparente qui aurait obligé les banques à procéder à des vérifications particulières :
- le caractère illogique des demandes de rachat du livret retraite, au regard des finalités de ce placement, ne constituait pas une anomalie apparente dès lors que le client était libre de disposer de ses actifs ;
- les demandes de virement n’appelaient pas, en dépit du montant inhabituel du dernier virement, une vigilance particulière dès lors que le donneur d’ordre en était le bénéficiaire économique ;
- l’affection dont souffrait le donneur d’ordre, signalée par sa famille et par la banque au ministère public, ne permettait pas au banquier tenu d’un devoir de non-ingérence, du fait de sa nature faisant alterner des périodes de cohérence et des épisodes « excitatifs », de déterminer si les demandes de son client étaient ou non en relation avec son trouble.
À noter
La banque doit vérifier la régularité apparente des ordres de paiement que son client lui adresse. Elle doit notamment faire preuve d’une vigilance particulière lorsque les mouvements du compte sont de nature suspecte. Mais cette obligation de vigilance se confronte à celle qui impose au banquier de ne pas s’immiscer dans les affaires de son client. De cette articulation découle la règle rappelée par la Haute Juridiction dans l’affaire commentée : dès lors que les ordres ne comportent aucune anomalie apparente, la banque n’est pas tenue de procéder à des vérifications particulières (jurisprudence constante).
En l’espèce, la particularité du litige était que les anomalies invoquées ne portaient pas sur les opérations elles-mêmes (bien qu’aient été relevés le caractère illogique du rachat de livret et le montant inhabituel d’un virement) mais résidaient dans l’état mental supposément altéré du donneur d’ordre au moment de passer ces ordres. Il est important de noter que la banque n’était pas restée inactive puisqu’elle avait signalé le comportement inquiétant de son client. Mais son devoir de vigilance devait s’effacer face à son obligation de non-ingérence et à la liberté de son client de disposer de ses fonds.
Cass. com. 2-5-2024 n° 22-17.233
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