Les crédits d’impôt d’origine étrangère s’imputent sur l’IS quel que soit son taux

Les retenues à la source sur les revenus de source étrangère et française sont imputables sur l’impôt sur les sociétés dû par le bénéficiaire au taux normal ou au taux réduit. Cette solution du Conseil d’Etat constitue un revirement de jurisprudence.

1. Le Conseil d’Etat pose le principe selon lequel l’imputation de l’impôt retenu à la source sur les revenus de source française et sur les revenus de source étrangère perçus au cours d’un exercice peut s’opérer sur l’impôt sur les sociétés (IS) pris dans son ensemble, sans qu’il y ait lieu de distinguer selon le taux applicable. La Haute Juridiction abandonne ainsi la règle de la tunnelisation de l’imputation des crédits d’impôt d’origine étrangère en fonction du taux d’IS.

En l’espèce, l’imputation des crédits d’impôt sur l’IS à taux réduit a été refusée

2. Les faits de l’espèce sont les suivants. Deux sociétés françaises ont perçu des revenus passifs étrangers soumis à l’IS en France. Des retenues à la source ont été payées dans l’Etat d’origine de ces revenus et ont ouvert droit à des crédits d’impôt en France. Mais les sociétés requérantes, déficitaires (s’agissant de leur résultat relevant du taux normal) au titre des exercices de la perception desdits revenus n’étaient pas en mesure d’imputer ces crédits d’impôt sur l’IS calculé au taux normal. Elles les ont donc imputés sur l’IS versé au taux réduit.

3. On rappelle à cet égard que, conformément à l’article 220, 1-a du CGI, la retenue à la source afférente aux revenus des capitaux mobiliers perçus par une société est imputée sur le montant de l’impôt à sa charge, sans que cette déduction puisse excéder la fraction de cet impôt correspondant au montant desdits revenus. Concernant les revenus de source étrangère, l’article 220, 1-b du CGI limite l’imputation au montant du crédit correspondant à l’impôt retenu à la source à l’étranger (ou à la décote en tenant lieu), tel qu’il est prévu par les conventions internationales.

4. L’administration fiscale a remis en cause l’imputation des crédits d’impôt sur l’IS au taux réduit sur le fondement de l’interprétation de cet article qui conduit à l’application de la règle de la tunnelisation . Conformément à cette règle, les crédits d’impôt auxquels ont ouvert droit les retenues à la source afférentes à des revenus imposables à un certain taux d’IS (taux normal de l’IS par exemple) ne peuvent s’imputer que sur l’IS dû à ce même taux ; lesdits crédits d’impôt ne peuvent s’imputer sur l’IS dû à un autre taux (taux réduit dans cet exemple).

La cour administrative de Versailles a donné raison à l’administration fiscale (CAA Versailles 2-11-2016 no 15VE03736 : BF 2/17 inf. 128 ; CAA Versailles 2-10-2014 no 11VE03507). Elle a transposé , aux cas d’espèce, la solution du Conseil d’Etat selon laquelle un crédit d’impôt afférent à des revenus de capitaux mobiliers n’est pas imputable sur l’IS à taux réduit des plus-values à long terme (CE 29-10-2012 no 337253 : IS-II-11445 fv). Dans cette dernière affaire, le Conseil d’Etat a jugé que les dispositions de l’article 220 ne permettent pas d’imputer sur le montant de l’IS au taux réduit l’excédent de crédit d’impôt qui n’a pu être imputé sur le montant de l’IS au taux normal auquel sont normalement soumis les revenus de capitaux mobiliers. Il convient également de relever que le Conseil d’Etat a également déjà jugé, dans une situation inverse, qu’un crédit d’impôt afférent à des redevances de cession ou de concession de brevets ne peut s’imputer sur l’IS au taux de droit commun dès lors que ces redevances sont imposables en France au taux réduit des plus-values à long terme (CE 19-3-1980 no 10708 : INT-GEN-18760). Des solutions similaires ont aussi été retenues pour des crédits d’impôt étrangers afférents à des produits d’actions ou d’obligations (CE (na) 2-10-2013 no 360914 : IS-II-11452) et à des intérêts d’emprunt (CAA Versailles 7-12-2010 no 09-1118 : IS-II-11970).

Le Conseil d’Etat abandonne la règle de la tunnelisation

5. Le Conseil d’Etat juge dans les présentes affaires que l’imputation de l’impôt retenu à la source sur les revenus de source française et sur les revenus de source étrangère perçus au cours d’un exercice s’opère sur l’IS à la charge du bénéficiaire de ces revenus au titre de cet exercice, sans qu’il y ait lieu de distinguer selon que cet impôt est dû au taux normal ou au taux réduit . Il opère ainsi sur le seul fondement du droit interne, et non du droit conventionnel, un revirement complet de jurisprudence.

6. Comme le relève le rapporteur public, Emilie Bokdam- Tognetti, dans ses conclusions, l’IS est un . Il est « calculé sur une assiette fragmentée, le cas échéant, en plusieurs compartiments auxquels s’appliqueront des taux différents, mais il n’y a pas deux impôts sur les sociétés pour autant ».

Elle souligne à l’appui de son argumentation que l’article 205 du CGI, qui introduit le chapitre du CGI relatif à l’impôt sur les bénéfices des sociétés, indique bien l’établissement d’un impôt sur l’ensemble des bénéfices réalisés par les sociétés. Ainsi, lorsque l’article 220 du CGI mentionne l’imputation du crédit d’impôt sur l’impôt à la charge de la société, il s’agit en réalité d’une « imputation sur la cotisation globale d’IS à la charge de la société contribuable ».

Elle relève également que l’expression fraction de l’impôt figurant à l’article 220, 1-a du CGI ne renvoie pas à « une compartimentation de l’IS selon le taux appliqué à une partie de l’assiette donnée », mais vise seulement à « exprimer une règle de butoir en termes de montant – et non de cible – de l’imputation, selon laquelle l’imputation ne peut excéder le montant de l’impôt français correspondant aux revenus passifs ayant généré le crédit d’impôt ». Elle note, en effet, que le terme de fraction figurait déjà à l’article 103, II du décret 48-1986 du 9 décembre 1948 et « préexiste ainsi à l’instauration en 1965, au sein de l’IS, d’un compartiment dédié aux plus-values et soumis à un taux réduit ».

7. Emilie Bokdam-Tognetti avance ainsi que l’article 220, 1-a du CGI ne « paraît pas poser de règle de tunnelisation des crédits d’impôt entre un impôt calculé au taux réduit et un autre calculé au taux normal, mais exprimer une simple règle de butoir limitant le montant imputable sans fixer d’autre limite à la cible de l’imputation que celle de son utilisation sur l’IS à la charge du titulaire du crédit ».

Elle souligne enfin que l’article 220, 1-b du CGI, en mentionnant directement le mot « montant », édicte encore plus clairement une simple règle de montant butoir. Les dispositions de l’article 210, 1-a et b ne fixent donc qu’« une règle de limitation du montant imputable et non une règle de tunnelisation et de compartimentation étanche des crédits d’impôt au sein de l’IS ».

Il convient de relever que Bruno Gouthière a déjà émis un avis critique sur la jurisprudence rendue en faveur de la tunnelisation en soulignant qu’il existe une confusion entre le respect du plafond d’imputation et les modalités pratiques de l’imputation (Bruno Gouthière, Les impôts dans les affaires internationales, 11e éd., no 8156 et no 83670).

 A noter : La doctrine administrative admet déjà l’imputation des crédits d’impôt d’origine française sur l’IS dû au taux réduit frappant les plus-values à long terme lorsqu’elle n’a pu être effectuée, en tout ou partie, sur le montant de l’IS au taux normal (BOI-IS-RICI- 30-10-20-20 no 50 : IS-II-11570).

 Exemple  —————————————————————————————————————

8. Une société dont le résultat est déficitaire a réalisé, au titre du même exercice, des plus-values à long terme :

– IS dû au taux normal : 0 €

– IS dû au taux réduit suite à la réalisation des plus-values à long terme : 75 000 €

– Crédits d’impôt résultant des revenus de source étrangère : 60 000 €. Par hypothèse, l’IS théorique français afférent à ces revenus de source étrangère est égal à la somme des retenues à la source prélevées dans l’Etat d’origine ouvrant droit à ces crédits d’impôt.

Compte tenu de la présente solution, la société peut imputer le montant de 60 000 € sur l’IS au taux réduit. Elle devra donc verser un IS de 15 000 € (au lieu de 75 000 € en application des règles fixées par la jurisprudence antérieure).

——————————————————————————————————————————

La présente solution ne règle pas toutes les difficultés liées à l’imputation

9. Pour l’une des présentes affaires, le Conseil d’Etat a transmis au Conseil constitutionnel la question de la conformité à la Constitution des dispositions de l’article 220, 1-a qui ne prévoient pas la possibilité de reporter sur les exercices suivants la fraction des retenues qui n’a pu être imputée au titre de l’exercice de perception des revenus (FR 30/17 [3] p. 9).

Si l’on reprend les données de l’exemple précédent, cette situation se présente si le montant des crédits d’impôt est de 90 000 € (au lieu de 60 000 €). Dans cette hypothèse, la somme de 15 000 € ne peut alors être imputée.

 A noter : Dans l’attente de la décision du Conseil constitutionnel, nous avons déjà conseillé aux entreprises qui n’ont pas pu imputer en totalité leurs crédits d’impôt d’origine étrangère de déposer des réclamations contentieuses afin de demander le remboursement des cotisations d’IS acquittées. De même, les sociétés qui auraient pu imputer totalement leurs crédits d’impôt afférents à un exercice sur l’IS qu’elles ont effectivement acquitté au titre de cet exercice, peuvent se prévaloir de l’abandon de la règle de la tunnelisation par le Conseil d’Etat dans les deux décisions du 26 juin 2017 et déposer des réclamations. Le quantum de ces réclamations sera bien entendu limité par la règle du butoir.

© Copyright Editions Francis Lefebvre